UNE INFINIE DIGNITE

Ce document de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi s’ouvre par une affirmation claire : chaque personne humaine possède une dignité infinie en toutes circonstances, fondée sur son être même. Cette dignité ontologique inaliénable, reconnaissable par la raison et confirmée par la Révélation, a été reprise dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme en 1948, mais depuis 2000 ans, l’Église s’est toujours efforcée d’affirmer la liberté et les droits fondamentaux de tous les êtres humains.

Depuis St Paul VI, les papes ont tous développé cette affirmation de la dignité humaine. St Jean Paul II a montré que la dignité humaine est foulée aux pieds quand diminue la liberté ou les droits essentiels à la vie, l’intégrité physique ou psychique … Pour le pape François, reconnaître la dignité humaine est la condition d’une authentique fraternité. Cette dignité des autres n’est pas inventée ou supposée, mais elle doit être respectée en toute situation, car il y a réellement en chacun une dignité inaliénable qui dépasse les choses matérielles ou les circonstances.

Une clarification fondamentale

Si tout le monde est globalement d’accord pour parler de la dignité humaine, il y a souvent des ambiguïtés sur cette expression, de telle sorte que la dignité de tous n’est pas vraiment respectée en toutes circonstances. Pour y voir clair, on peut distinguer :

– la dignité ontologique est attachée à chaque personne par le simple fait qu’elle existe. Cette dignité ne peut jamais être effacée, quelles que soient les circonstances.

– la dignité morale est liée à l’exercice de la liberté humaine. Si librement, l’homme agit contre sa conscience, il adopte un comportement « indigne » de sa nature de créature aimée de Dieu et appelée à aimer. La dignité morale peut se perdre, mais la dignité ontologique demeure toujours ; aussi, nous devons aider ceux qui font le mal à se repentir.

– la dignité sociale est liée aux conditions de vie d’une personne. L’extrême pauvreté peut conduire à des conditions de vie « indignes » ; ce n’est en aucun cas un jugement sur les personnes, mais l’expression montre bien que la dignité ontologique inaliénable de la personne est contredite par ses conditions de vie concrètes.

– la dignité existentielle est liée à la perception que chacun, indépendamment de sa situation matérielle, a de sa propre dignité. On ressent ou on parle d’une vie « digne » ou « indigne » selon certaines maladies, contextes familiaux violents, addictions ou malaises qui poussent quelqu’un à vivre sa condition de vie comme « indigne ».

L’être humain ne crée pas sa nature, mais la possède comme un don reçu à cultiver. Même si une personne n’a pas les capacités des autres, ou ne peut utiliser les siennes, la personne humaine subsiste toujours avec toute sa dignité ontologique individuelle, que ce soit un enfant à naître, une personne inconsciente ou en fin de vie …

1 – Une prise de conscience progressive du caractère central de la dignité humaine

Dans l’Antiquité, certains penseurs reconnaissaient une place singulière à l’être humain, mais c’est surtout la Révélation biblique qui enseigne que tout homme possède une dignité intrinsèque, car il est créé à l’image et à la ressemblance de Dieu. Cette dignité, donnée et non méritée, est constamment rappelée par les prophètes et par Jésus qui guérit, relève, et s’identifie aux plus petits : « tout ce que vous avez fait au plus petit d’entre mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25,40).

Aujourd’hui, la Déclaration des Nations Unies en 1948 parle de la « dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables », car c’est seulement ce caractère inaliénable de la dignité humaine qui permet de parler de Droits de l’Homme.

La dignité n’est donc pas accordée à quelqu’un par d’autres personnes, sur la base de certains dons ou qualités, de sorte qu’elle pourrait être retirée, sinon elle serait conditionnelle et aliénable. N’étant jamais donnée à posteriori, la dignité humaine est liée à la personne même, antérieure à toute reconnaissance et ne peut être perdue. Tous les êtres humains ont la même dignité (ontologique), qu’ils soient capables ou non de l’exprimer. L’Église elle-même a une conscience toujours plus vive de la dignité de la personne humaine, comme le rappelle la déclaration « Dignitatis Humanae » du Concile Vatican II.

2 – L’Église proclame, promeut et garantit la dignité humaine.

L’Église proclame l’égale dignité de tous les êtres humains, en toutes circonstances, pour 3 raisons :

– L’être humain est créé à l’image de Dieu. Notre dignité concerne toute notre personne, dans notre âme comme dans notre corps.

– Jésus-Christ par son incarnation a assumé la totalité de l’existence humaine. En affirmant en acte et en parole la dignité de toute personne, surtout de celles parfois qualifiées « d’indignes », Jésus a apporté un principe nouveau : les êtres humains sont d’autant plus « dignes » de respect et d’amour qu’ils sont plus faibles. Ce principe a donné naissance à toutes les institutions qui s’occupent des orphelins, des enfants abandonnés, des malades …

– Après la Création et l’Incarnation, la Résurrection du Christ révèle en outre un autre aspect de la dignité humaine : tous les hommes sont appelés à communier avec Dieu dans la gloire.

Il dépend de la décision libre et responsable de chacun de manifester cette dignité inaliénable ou de l’obscurcir. Dans la mesure où la personne accueille et répond au bien, sa dignité d’être libre et responsable, appelée à aimer, se manifeste progressivement. Dans la mesure où la personne refuse le bien, ce péché obscurcit la conscience de la dignité humaine, sans pouvoir effacer le fait que chaque personne est créée à l’image de Dieu.

3 – La dignité, fondement des droits et devoirs de l’homme.

Dans la culture moderne, le principe de la dignité a sa référence immédiate dans la Déclaration universelle des Droits de l’Homme. Les principes suivants permettent d’en garder le sens profond :

– Le respect inconditionnel de la dignité humaine.

Certains parlent de dignité personnelle, avec l’idée que « personne » signifie « être capable de raisonner ». Comme l’enfant à naître ou la personne handicapée mentale n’ont pas cette capacité, ils n’auraient pas de dignité personnelle. L’Église au contraire maintient que la dignité de la personne doit être respectée de façon inconditionnelle, parce que toute personne appartient à l’espèce humaine, de sorte que les droits de la personne sont les droits de l’homme.

– Une référence objective pour la liberté humaine.

La dignité humaine est parfois utilisée pour justifier des nouveaux « droits » contraires au droit fondamental à la vie. Ces « droits » voudraient garantir chaque désir subjectif, mais les droits qui découlent de la dignité humaine ne peuvent être fondés sur des critères individuels, mais ont au contraire un contenu concret et objectif, fondé sur la nature humaine commune, ce qui soustrait la dignité humaine à l’arbitraire et aux rapports de force.

– La structure relationnelle de la personne humaine.

Comme les personnes sont des êtres de relations, la dignité humaine ne se limite pas à la capacité de décider de soi ou pour soi, indépendamment des autres. Au contraire, la dignité de l’être humain comprend la capacité d’assumer aussi des obligations à l’égard d’autrui. Le concept de dignité réservé à l’être humain ne fait pas oublier la bonté propre des autres créatures, mais conduit au contraire l’être humain à prendre soin de l’environnement.

– La libération des conditionnements moraux et sociaux.

Dieu a créé l’homme en lui donnant l’initiative et la maîtrise de ses actes en vue du bien, mais le libre arbitre préfère souvent le mal au bien. C’est pourquoi la liberté humaine aussi a besoin d’être libérée. Dieu ne viole jamais la liberté qu’il nous a donnée. Loin de Dieu, ou de toute vérité ou relation antérieure, l’homme n’est ni plus libre, ni plus digne. Seule la recherche de la vérité et du bien donne une raison objective pour agir autrement que dans l’intérêt personnel du moment. Une « raison » subjective ne peut demander le respect aux volontés des autres, car ils ont tout simplement d’autres « raisons » d’agir. C’est ainsi que le relativisme est l’origine de la négation de la dignité des autres. De plus, la liberté n’est jamais abstraite, mais les conditions concrètes d’existence donnent au contraire + ou – de liberté aux hommes. La recherche de la liberté concrète, réelle, historique, doit tenir compte de la dignité humaine égale de chacun, pour redresser ce qui la menace.

4 – Quelques violations graves de la dignité humaine.

Le Concile Vatican II avait rappelé qu’en définitive, s’oppose à la dignité humaine tout ce qui s’oppose à la vie elle-même : l’homicide, le génocide, l’avortement, l’euthanasie, le suicide délibéré, toute violation de l’intégrité de la personne humaine (mutilation, tortures …), conditions de vie ou de travail dégradantes, emprisonnements arbitraires, déportations, esclavage, prostitution, peine de mort … Dans cette dernière partie, plusieurs situations listées ici ignorent ou violent la dignité humaine.

Le drame de la pauvreté : l’extrême pauvreté, et plus précisément l’inégalité croissante de la répartition des richesses, contribue à nier la dignité de beaucoup d’êtres humains. En effet, la richesse globale augmente, mais les inégalités augmentent aussi, souvent en raison du chômage. Or il n’existe pas de pire pauvreté que celle qui prive du travail et de la dignité du travail.

La guerre : Présente en de nombreuses régions du monde, comme une 3° guerre mondiale par morceaux, la guerre porte atteinte à la dignité humaine à court et à long terme. La légitime défense et la responsabilité de protéger n’empêchent pas que la guerre est toujours une défaite de l’humanité, qui accroît en général les problèmes plus qu’elle ne les résout. Aujourd’hui, il devient vraiment difficile de parler raisonnablement de guerre « juste ».

Le travail des migrants : Leur dignité est souvent niée dans leur propre pays et aussi dans les pays d’accueil où ils ont rarement les moyens de fonder une famille, de travailler et de se nourrir. Il faut donc rappeler que chaque migrant est une personne humaine avec des droits fondamentaux inaliénables qui doivent être respectés, et que tous les êtres humains ont la même valeur.

La traite des personnes : Elle viole la dignité de l’être humain, et malheureusement se développe de façon ignoble dans le commerce des organes humains, l’exploitation sexuelle ou de travail forcé, la prostitution, les trafics et les crimes. Véritable « crime contre l’humanité » comme le dit le pape François, la traite nie la dignité des victimes et déshumanise les bourreaux.

Les abus sexuels : La dignité de chaque être humain étant liée à son corps, est aussi profondément niée par les abus sexuels, causant des souffrances qui peuvent durer toute la vie.

Les violences contre les femmes : Ce scandale mondial se voit dans l’organisation des sociétés qui discriminent les femmes et les hommes pour une même dignité et les mêmes droits. Même proclamée, l’égalité effective est rarement réalisée. Cette égalité doit être reconnue par le droit et développée dans la culture, ce que nient en fait des sociétés hédonistes et mercantiles, qui favorisent l’égoïsme des hommes. La polygamie occulte l’égale dignité de l’homme et de la femme, et les féminicides doivent toujours être condamnés.

L’avortement : La dignité de l’être humain commence dès sa conception et va jusqu’à sa mort naturelle. Un certain malaise des consciences cherche à atténuer la gravité de l’avortement en utilisant d’autres mots, comme « interruption de grossesse », or si on a le courage d’appeler les choses par leur nom, l’avortement est le meurtre délibéré et direct, quelle que soit la façon dont il est effectué, d’un être humain dans la phase initiale de son existence, située entre la conception et la naissance. C’est nier la dignité de l’enfant à naître que de lui retirer la vie ; c’est pourquoi la défense de la vie à naître est liée à la défense de tous les droits humains.

La gestation pour autrui : Contre la pratique des mères porteuses, il y a la dignité de l’enfant et de la mère. De l’enfant qui ne peut être un objet de marchandage ou de contrat. De la femme dont la précarité matérielle est exploitée. Le désir légitime d’avoir un enfant ne peut pas être transformé en « droit à l’enfant » qui ne respecte pas sa dignité propre, en même temps qu’elle transforme la femme en moyen, celui de mère porteuse.

L’euthanasie et le suicide assisté : Par l’expression « droit de mourir dans la dignité », les promoteurs de l’euthanasie retournent le mot de dignité contre la vie elle-même. Or la souffrance qui doit toujours être soulagée, ne fait pas perdre à un être humain sa dignité. La vie humaine, même douloureuse, porte une dignité inconditionnelle. De même, aider une personne suicidaire à se suicider est une atteinte objective à sa dignité.

La mise au rebut des personnes handicapées : L’attention réelle à la dignité de chacun se vérifie dans l’attention réelle portée aux plus défavorisés. Or notre époque se caractérise plutôt par une culture du déchet qui ne donne pas de place ou de dignité aux personnes handicapées ou marquées par l’imperfection humaine. L’amour préférentiel pour les derniers devrait toujours être l’objectif premier de la politique.

La théorie du genre : Chaque personne doit toujours être respectée dans sa dignité, indépendamment de son orientation sexuelle. Mais à côté des principes évidents de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, certains tentent d’introduire de nouveaux droits notamment marqués par la théorie du genre qui efface les différences sous couvert d’égalité. La différence sexuelle en particulier est fondatrice, car elle réalise dans le couple la réciprocité et qu’elle est à l’origine de la vie. C’est en acceptant ce donné précisément comme un don que chacun devient capable de découvrir pleinement sa dignité et son identité propres.

Les changements de sexe : La dignité du corps n’est pas inférieure à celle de la personne. L’âme et le corps constituent ensemble l’être humain et participent ainsi à sa dignité. Donc, tout changement de sexe risque en général de menacer la dignité unique que chacun a reçue au moment de sa conception.

La violence numérique : bien qu’offrant beaucoup de possibilités, le numérique peut développer l’exploitation, l’exclusion, la solitude, la manipulation et la violence. Le contact virtuel ne remplace pas la communication des relations interpersonnelles. Pour que les médias aident, il faut placer au centre le respect de la dignité humaine et la promotion du bien.

Conclusion : 

L’Église demande donc que le respect de la dignité humaine, en toutes circonstances, soit placé au centre de l’engagement pour le bien commun et de tout système juridique. Le respect de cette dignité est en effet la base indispensable à l’existence de toute société juste, car les droits fondamentaux de l’homme précèdent et fondent toute société civilisée. D’où l’appel du pape François : « Je demande à chaque personne de ce monde de ne pas oublier sa dignité que nul n’a le droit de lui enlever ».

Résumé fait par le P. Eric Courtois – Mai 2024

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Vatican place saint Pierre - Simone Savoldi - Unsplash